La Trilogie de Copenhague

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La Trilogie de Copenhaque

EnfanceJeunesseDépendance

Tove Ditlevsen

Traduit du danois par Christine Berlioz et Laila Flink Thullen
Globe, 2023-2024

Traduite, dans une relative discrétion, en français dans les années 1990, Tove Ditlevsen (1917-1976), poète, romancière et journaliste danoise, connaît un regain d’intérêt et un engouement inédit à l’international depuis de nouvelles traductions fin 2021, engouement porté par la vague de l’autofiction et probablement aussi par la nouvelle vague du féminisme.
La modernité de ses thèmes en lien avec le féminisme, abordés avec franchise et liberté de ton, font sans doute écho aux débats contemporains. Son regard sur la vie est acéré et plein d’humour mais au-delà, sa trajectoire est heurtée et l’on y devine les ravages d’une tendance dépressive et autodestructrice qu’elle contre pourtant avec vaillance.

Redécouverte d’une autrice à la liberté de ton remarquable

Un peu comme son homologue française Annie Ernaux, avec qui elle semble partager le goût de la précision et de la distanciation, Tove Ditlevsen (1917-1976) a le courage d’aborder des thèmes dont on parlait assez peu dans la littérature et la société des deux premiers tiers du XXe siècle : la dépression post-partum, les bouleversements conjugaux après l’arrivée d’un premier enfant, l’addiction au féminin (à un opioïde, suite à un acte médical).

Mais dotée également d’une plume légère et d’un regard humoristique, l’autrice aborde aussi de manière moins grave mais toujours aussi acérée et pertinente : le monde du travail au féminin, le sexisme et le poids hiérarchique qui corsètent les univers familiaux et professionnels des jeunes gens et des classes populaires du début du XXe siècle, ou l’évolution des mœurs sous l’occupation.

Relations humaines

Enfance restitue plus particulièrement le microcosme et l’éducation d’une toute jeune fille de la classe ouvrière, souvent malmenée par sa mère (elle-même très vive et haute en couleurs), mais assez proche de son père (et dans une moindre mesure de son frère), qui lui transmet le goût de la littérature et, bien malgré lui, le souhait de devenir poète et l’itinéraire inventif et non normé qui en découle.

Décrivant ces relations familiales, de voisinage, amicales, professionnelles, artistiques, amoureuses… Tove Ditlevsen rend perceptible une sorte de "présence-absence" qui constitue parfois les relations à soi-même et aux proches, relations marquées par une impression de familiarité et de grande proximité dans le quotidien, et en même temps comportant toujours une part d’inconnu, d’imprévisible et d’énigmatique.

Pulsions de vie et pulsions de mort

Le cœur ne peut que se serrer dans le troisième volume de ces mémoires évoquant les affres de l’addiction et du sevrage chez cette femme si énergique, cultivant les liens aux siens autant qu’un regard à la fois direct et elliptique sur la vie, faisant au mieux entre ses aspirations (esthétiques et familiales) parfois conflictuelles, mais sombrant aussi dans l’autodestruction (pour un temps très long), puis se relevant et la combattant. Jusqu’à un certain point, comme en atteste l’issue tragique de sa vie, bien des années plus tard.

Sandrine, mars 2025

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