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Sélection 2022 jazz & blues

Est-ce parce que son patronyme est inspiré d’un ouvrage de science-fiction que le duo Vega Trails nous emmène si loin ? Bien que minimale, la musique de Milo Fitzpatrick (Portico Quartet) et Jordan Smart (Mammal Hands) possède en effet un fort pouvoir évocateur. Basé essentiellement sur les interactions contrebasse/saxophone, Tremors in the static ressemble à une version épurée de la musique que les deux musiciens pratiquent avec leurs groupes respectifs, Portico Quartet et Mammal Hands. Des noms qui éveilleront l’intérêt des amateurs de jazz anglais.

Ces mêmes amateurs attendaient depuis longtemps la parution du premier album de Kokoroko. C’est désormais chose faite avec Could we be more. L’octet londonien y applique la recette qui a fait le succès de ses singles et prestations publiques : un jazz-funk entraînant sous forte influence africaine (afrobeat et highlife nigérian en particulier) qui ne s’interdit pas quelques moments de douceur.

Europe et Afrique se mêlent également dans Eurythmia, un projet de la pianiste et compositrice Eve Risser qui intègre à son Red Desert Orchestra trois musiciens burkinabé pour un résultat au groove hypnotique.

Les rythmes africains sont une des nombreuses inspirations du quintet munichois Fazer, qui a la particularité de compter deux batteurs. Une guitare et une basse complètent cette rythmique de choc sur laquelle le trompettiste Matthias Lindermayr développe les mélodies. Avec ses influences pop, rock, dub et electro savamment mixées, Plex est l’un des albums les plus passionnants de l’année !

Impossible de passer par Munich sans évoquer ECM, le mythique label fondé par Manfred Eicher en 1969. Si Keith Jarrett en reste la vedette, la maison continue de bâtir un catalogue impressionnant tant par le nombre de ses références que par leur qualité. Parmi celles parues en 2022, on retient tout particulièrement Last decade, album tout en délicatesse lyrique enregistré par le pianiste Benjamin Lackner et son quartet.

Membre du groupe Lo’jo pendant près de vingt ans, le contrebassiste Kham Meslien officie désormais en solo, jusque dans l’enregistrement de son premier album Fantômes… futurs. Aride ? Absolument pas car Meslien explore toutes les possibilités sonores de son instrument et fait bon usage des boucles et effets pour pimenter son art. Étonnamment riche, sa musique est surtout pleine de feeling et de poésie voyageuse.

Il est également question de voyage dans le très beau disque du batteur Jean-Pierre Jullian. Forêt Lacandone nous emmène au Mexique dans la forêt éponyme à la fois inhospitalière et protectrice, berceau de la résistance zapatiste. Un thème original pour un quintet qui ne l’est pas moins : saxo, flûte, contrebasse et vibraphone ou marimba s’ajoutent aux fûts du leader pour dessiner un paysage sonore palpitant.

A-t-on une chance de croiser un Tigre d’Eau Douce au Mexique ? Pas impossible tant le jazz-funk-psychédélique du groupe de Laurent Bardainne semble capable de s’épanouir partout où il fait chaud… Hymne au soleil est le second volet des aventures - toujours aussi excitantes - du saxophoniste et de son félin fétiche.

Aventurier sonore, Vincent Peirani l’est aussi : le dernier opus de notre accordéoniste préféré s’ouvre sur une reprise de Marilyn Manson pour s’achever sur un clin d’œil au ténor Roberto Alagna ! Un grand écart qui ne manque pourtant pas de cohérence, grâce à la complicité de Federico Casagrande (guitare) et Ziv Ravitz (batterie), particulièrement en verve. Le disque a beau s’intituler Jokers, le trio a tout d’un brelan d’as !

Consacrer un album instrumental à l’œuvre de Gainsbourg, le pari était risqué tant l’homme était avant tout un parolier hors-pair. Le tromboniste Daniel Zimmermann et ses acolytes relèvent brillamment le défi tout au long de L’Homme à tête de chou en Uruguay, hommage libre et fantasque au compositeur génial qu’était aussi l’auteur de New York – USA.

Pour trouver la voix, direction l’Amérique, justement ! Et qui mieux que Cecile McLorin Salvant peut nous faire traverser l’Atlantique ? La plus française des chanteuses américaines démontre l’étendue de son talent avec Ghost song, son album le plus abouti à ce jour. Des histoires de fantômes et de nostalgie donc, qui ne manquent pourtant pas de corps grâce à l’interprétation habitée de Cecile et de ses complices, le pianiste Sullivan Fortner en tête.

Avec Seriana Promethea, David Murray, ne s’encombre pas de fioritures. Au sein du Brave New World Trio (avec Brad Jones à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie), le saxophoniste/clarinettiste va droit au but : un chant brut pétri de blues à l’énergie communicative. Revigorant !

Au fil des ans, le batteur de Chicago Makaya McCraven bâtit une œuvre passionnante, nourrie de tout l’éventail musical afro-américain. In these times est un parfait équilibre entre la spontanéité des enregistrements et le travail minutieux d’arrangement opéré ensuite pour aboutir à un album à la fois luxuriant, audacieux et accessible.

Ne cherchez pas les Kansas Smitty’s au Kansas : ils n’y sont plus ! En réalité, We’re not in Kansas anymore est moins un faire-part de déménagement que l’annonce d’une évolution pour Giacomo Smith et ses comparses : la formation basée à Londres s’émancipe de la tradition pour un jazz plus moderne aux influences africaines et cinématographiques assumées.

Et puisque nous sommes de retour en Angleterre, finissons de boucler la boucle en reparlant de Gondwana Records, le label de Vega Trails avec lequel nous avions commencé ce tour d’horizon. En 2022, son fondateur, le trompettiste Matthew Halsall, a sorti The Temple within et Changing Earth. Oui, deux (courts) albums de spiritual jazz solaire et méditatif qui pourraient bien s’avérer être les disques de l’année ! Et tant pis si les CD commandés n’ont toujours pas été livrés : on ne se lasse pas de les écouter sur MusicMe, plateforte d’écoute en ligne accessible gratuitement à tous les abonnés de la Médiathèque…

 

Un petit coup de blues au moment de se quitter ? Charlie Musselwhite nous apprend à vivre avec ce sentiment, et à vivre bien : plus en forme que jamais, l’harmoniciste de 78 ans se permet même de jouer les parties de guitare sur Mississippi son, un album au titre autobiographique, un des tous meilleurs de sa longue carrière.

Guitariste et chanteur, Kenny Neal est aussi un enfant du Sud des États-Unis. De Louisiane, précisément, et cela s’entend. Si son blues cuivré et ses solos de six-cordes rappellent beaucoup B.B. King, des notes d'accordéon cajun viennent régulièrement pimenter le gombo de Straight from the heart.

On termine avec Wylie Champion et ce qui restera son seul album, I just want to be a good man. Le pasteur-guitariste est en effet décédé quelques mois après la première captation d'une de ses prestations dans une église d'Oakland. Le son est imparfait mais c'est un témoignage exceptionnel sur la puissance d'une voix et les liens évidents entre gospel, blues et soul.

Jérôme, janvier 2022

 

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