Sélection 2021 musique classique
L'année commémorative du centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns pousse les plus aventureux à explorer les œuvres les moins connues du compositeur.
C'est le cas pour cet album de Geneviève Laurenceau intitulé Saint-Saëns qui présente un programme contrasté où son violon rencontre le violoncelle de Yan Levionnois, la harpe de Pauline Haas ou encore l'Orchestre de Picardie sous la direction de Benjamin Levy. Lyriques, tendres et virtuoses, ces morceaux tranchent avec l'image d'un compositeur à l'écriture souvent qualifiée de froide et académique.
Une partie de l’œuvre riche et variée de Saint-Saëns reste particulièrement peu connue : sa musique de chambre, que le subtil pianiste Laurent Wagschal met en lumière dans un triple album. Dans Duos pour piano et cordes, il nous amène, avec l’ensemble Le Déluge, à la découverte d’autres paysages de la musique de Saint-Saëns : son inspiration fertile, sa structure et sa rigueur formelle, et surtout son sens mélodique, son élégance et son charme !
Dans Piazzolla reflections, l’accordéoniste lettonne Ksenija Sidorova propose un voyage musical intense au cœur de la musique et de l’univers d’Astor Piazzolla dont on célébrait le centenaire de la naissance. Une interprétation à la fois émouvante, dynamique et piquante.
Le Baroque à l’honneur
Bach encore, Bach, toujours...
Pour son nouvel enregistrement, l’insaisissable et rare pianiste Piotr Anderszewski adopte une approche toute personnelle et créative du Clavier bien tempéré, le chef d’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Plutôt que d’enregistrer l’intégrale, il se concentre sur douze Préludes et Fugues du Second Livre. La clarté, la subtilité et le raffinement du pianiste franco-polonais font mouche une fois de plus dans ce programme de haute lignée.
Avec Bach mirror, le pianiste Thomas Enhco et la percussionniste (marimba) Vassilena Serafimova célèbrent Bach avec fougue, fantaisie et une grande liberté. Entre transcriptions, arrangements, improvisations et compositions originales, ils nous entraînent dans un univers à la frontière du classique et du jazz, témoignant d’un souffle jubilatoire et d’une intense émotion.
Des compositeurs baroques de tous horizons …
Avec Cadenza, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton revisite 3 concertos du compositeur italien Luigi Boccherini à travers des arrangements originaux pour petit effectif, incluant le cymbalum, « pour en faire jaillir les couleurs, les rythmiques, les danses, les chants et les contre-chants ».
L’ensemble Les Timbres nous propose une intégrale des Sonates à doi, violine & viola da gamba con cembalo de l’allemand Dietrich Buxtehude. Très loin de l'image d’un Buxtehude austère, ces sonates des Opus 1 et 2 surprennent par leur liberté. Rares sont les ensembles qui se sont confrontés au défi de cette intégrale… mais le trio - Yoko Kawakubo, violon ; Myriam Rignol, viole de gambe et Julien Wolfs, clavecin - y trouve un magnifique terrain de jeu où s’épanouissent leurs timbres ciselés et colorés, à la fois sensibles et jubilatoires.
L’album Entre dos almas met à l'honneur le compositeur espagnol Santiago de Murcia et la guitare baroque. Stefano Maiorana démontre partout son irréprochable maîtrise de l'instrument et sa fine connaissance du répertoire.
...et de très belles anthologies
Le 18ème siècle a été l'âge d'or de la mandoline. Dans Italian baroque mandolin sonatas, l'ensemble Artemandoline enregistre en première mondiale des chefs-d’œuvres composés à Florence et à Rome pour mandoline et basse continue. Une musique pleine d'énergie, de beauté et de virtuosité.
Avec The Mad Lover, Théotime Langlois de Swarte, au violon, et Thomas Dundord, au luth, nous font respirer l’atmosphère acoustique londonienne des 17ème et 18ème siècles, à l'époque de Charles II.
Dans l’album The Queen’s delight, Les Musiciens de Saint-Julien, le flûtiste François Lazarevitch, leur chef, et la mezzo-soprano Fiona McGown nous plongent dans une Angleterre folklorique. Un album de ballades d’outre-Manche du 17ème et 18ème siècles empruntées au recueil de John Playford
Vous avez dit Brunettes ? Ces chansonnettes que l’on fredonnait à l'époque baroque racontent les histoires de bergers et de bergères. À une ou deux voix, avec luth ou avec viole, Les Kapsber’girls redonnent vie, plus de trois siècles après, à ces œuvres publiées par Ballard & fils, éditeurs du Roi Soleil, ainsi qu’à des compositeurs et compositrices plus méconnus tels Julie Pinel et Giuseppe Saggione.
Le 19ème reste le siècle favori des musiciens classiques
On retiendra les deux très beaux albums consacrés à Frédéric Chopin, avec la très talentueuse pianiste italienne Béatrice Rana et le pianiste virtuose coréen Seong-Jin Cho.
Avec les Etudes et scherzi, la première mêle liberté, rigueur et musicalité certaine.
Quant au second, révélé internationalement par son premier prix au concours Chopin de 2015, il revient au répertoire du grand compositeur, en s’attaquant ici au Concerto pour piano n° 2 ainsi qu’aux 4 Scherzos.
La compositrice Louise Farrenc, contemporaine de Frédéric Chopin, est mise à l’honneur avec ses Symphonies n°1 et n°3. Outre de nombreuses compositions pour piano, elle est à l’époque une des rares femmes à s’attaquer à la composition de symphonies. Laurence Equilbey lui rend hommage avec son Insula Orchestra.
L’organiste Olivier Latry nous invite à découvrir le répertoire pour orgue de Franz Liszt. Un univers onirique et singulier. Avec Inspirations il propose un voyage lisztien au cœur de l’orgue orchestral.
Les membres du Trio Wanderer livrent le fruit de leur intense réflexion autour de l’œuvre de Robert Schumann. En résulte ce remarquable triple album, Complete piano trios, quartet & quintet, avec, outre les quatre œuvres dédiées à la formation, des versions captivantes du "Quatuor avec piano opus 47" et du célébrissime "Quintette avec clavier opus 44", donnés avec le concours de Christophe Gaugué à l’alto et Catherine Montier au second violon.
C’est avec Franz Schubert, un compositeur dont le langage s’accorde merveilleusement à son jeu délicat et poétique, qu’Alexandre Tharaud fait son retour au disque avec Impromptus D899, Moments musicaux D780. Il nous offre ici sa lecture, particulièrement touchante, de ces œuvres ainsi que de sa propre transcription d’extraits de la musique de scène Rosamunde.
Sans oublier les contemporains…
Bouleversant oratorio pour chœur de chambre et ensemble instrumental, composé et créé en 2016 par Thierry Escaich (né en 1965) pour le centenaire de la bataille de Verdun, Cris s’inspire d’un texte de Laurent Gaudé, d’où surgissent plusieurs destins de soldats pris dans l’enfer des tranchées. Gaudé s’y mue en récitant, et sa voix chaude semble guider ses personnages à travers la fièvre déchaînée par les instruments (huit violoncelles, deux percussions, un accordéon) et les chanteurs.
Hommages à Arvo Pärt en l’honneur de son 85ème anniversaire
C’est avec la musique d’Arvo Pärt et le disque Tabula rasa que le violoniste Renaud Capuçon entame une nouvelle étape dans sa vie de musicien, celle de la direction de l’orchestre de chambre de Lausanne. De l'œuvre éponyme de l'album à "Fratres" en passant par "Summa" et "Spiegel im Spiegel", ce sont les grands classiques du compositeur estonien qui prennent une vie nouvelle sous sa direction sans cependant oublier son fabuleux violon.
Composé par Arvo Pärt en hommage à Anish Kapoor, Lamentate est un voyage tonitruant dans les méandres de l’âme et des émotions. C’est cette œuvre complexe que la pianiste Onuté Grazinyté a choisie comme élément central pour son premier disque.
Dans le domaine vocal, notons les très beaux albums de la soprano Sabine Devieilhe (Bach-Handel) et de la cheffe et chanteuse Nathalie Stutzmann (Contralto).
Cependant, je ne saurai clore cette rubrique sans mentionner ces remarquables albums :
Orgues de Sicile d’Arnaud De Pasquale, qui a choisi de mettre en avant six de ces instruments historiques restaurés.
Chants juifs, enregistrement emblématique de la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton.
Aranjuez du jeune guitariste Thibaut Garcia, brillant de bout en bout.
12 stradivari de la virtuose néerlandaise Janine Jansen qui a enregistré un album sur douze des violons les plus célèbres au monde. Une expérience inédite !
Roots du violoniste afro-américain Randall Goosby, formé à la Juilliard School de New York, Cet album célèbre la musique de compositeurs Noirs tels que William Grant Still, Florence Price et Samuel Coleridge-Taylor, ainsi que de créateurs inspirés par la culture afro-américaine, comme Gershwin et Dvořák, dont une grande partie des œuvres est imprégnée du langage musical des negro spirituals.
Et pour finir, notons le remarquable opéra comique Richard Cœur de Lion du compositeur préféré de Marie-Antoinette, donné à Versailles pour fêter les deux cent cinquante ans de son Opéra Royal !
Hervé Niquet et Marshall Pynkoski ressuscitent le chef-d’œuvre d’André-Ernest-Modeste Grétry et nous offrent un témoignage historique d’une époque révolue.
Isabelle B.